11/05/20

La déduction des charges professionnelles d’un immeuble acquis par une société : l’immeuble à la côte est aussi déductib…

Dans une précédente Tetralert, nous faisions le point sur le caractère professionnel, et donc fiscalement déductible, des charges liées à un immeuble acquis par une société et mis (gratuitement) à disposition de son dirigeant.

La Cour d’appel d’Anvers a rendu une nouvelle décision allant dans le sens d’une possibilité de déduction des frais d’un appartement à la côte belge détenu par une société, à l’instar de ce qu’avait admis la Cour d’appel de Gand en décembre 2019.

Bref rappel – Pour apprécier le caractère déductible ou non des frais supportés par une société pour rémunérer son gérant, par exemple les frais liés à la mise à disposition d’un immeuble, la Cour de cassation, dans un arrêt du 14 octobre 2016, faisait référence à la théorie de la rémunération.

Selon cette théorie, bien qu’un avantage de toute nature constitue une rémunération de dirigeant (article 32 CIR92), considérée comme un frais professionnel dans le chef de la société (article 195 CIR92), encore faut-il que ces frais répondent aux conditions générales de l’article 49 CIR92, à savoir qu’ils soient supportés par la société en vue d’acquérir ou conserver des revenus. En ce qui concerne les rémunérations, la Cour de cassation considère donc que la société doit être en mesure de prouver la réalité des prestations effectuées par son dirigeant en contrepartie de ces rémunérations.

Application par les juridictions de fond - Cette jurisprudence avait été suivie de manière assez stricte par les Cours d’appel de Gand et d’Anvers, considérant que les frais relatifs à un immeuble, supportés par la société, servaient uniquement les intérêts privés du gérant et ne lui permettaient donc pas d’acquérir ni conserver des revenus.

A l’inverse, la Cour d’appel de Mons rappelait, dans deux arrêts de mai et août 2019, qu’il n’appartenait pas à l’administration d’apprécier la pertinence et l’importance de la rémunération octroyée par une société à son gérant. Il lui est donc loisible de choisir la voie la moins imposée et bénéficier, entre autres, de l’évaluation forfaitaire de certains avantages de toute nature.

Dans ce contexte, difficile de cerner les contours de la théorie de la rémunération et les éléments permettant de démontrer la réalité des prestations effectuées par le gérant d’une société en contrepartie des avantages de toute nature qu’elle lui attribue.    

Précisions quant aux éléments probants  - Dans son arrêt du 14 janvier 2020, la Cour d’appel d’Anvers accepte non seulement le caractère professionnel des frais relatifs à un appartement à la mer détenu par une société en pleine propriété (en indivision avec son gérant), mais apporte également des précisions bienvenues quant aux éléments permettant de justifier le caractère professionnel de ces frais.

Elle motive sa décision sur la base des éléments de fait avancés par le contribuable. L’avantage de toute nature découlant de la mise à disposition de cet appartement était bien repris sur les fiches individuelles de rémunération du gérant. De plus, le gérant (un dentiste) était la seule personne prestant des activités pour cette société, preuve que la rémunération en nature est bien la contrepartie de prestations réelles. Les revenus générés par ces activités dépassaient le montant des frais liés à l’immeuble mis à sa disposition. Il ne pouvait donc s’agir d’une libéralité consentie par ladite société à son gérant. Enfin, les procès-verbaux de l’assemblée générale de la société précisaient la politique de rémunération du dirigeant, à savoir que son « package » de rémunération comprenait la mise à disposition d’un immeuble.

Ces différents éléments, idéalement cumulés à des « relevés de prestations » aussi complets que possible, apparaissent donc comme un prescrit minimum mais néanmoins suffisant, en tout cas pour des sociétés à administrateur unique, pour démontrer le caractère professionnel des dépenses supportées pour la mise à disposition d’un immeuble à son gérant.

La rentabilité inhérente à l’immeuble – La Cour d’appel d’Anvers rejoint par ailleurs la jurisprudence récente de la Cour d’appel de Gand (arrêt du 3 décembre 2019 que nous commentions dans notre Tetralert précédente) en constatant que l’immeuble, détenu en pleine propriété par la société, présente un rendement certain pour la société, qui réalisera une plus-value lors de la revente de ce bien.

Alors que la Cour d’appel de Gand avait analysé le retour sur investissement de l’immeuble en cause, la Cour d’appel d’Anvers se fonde ici sur la rentabilité générale du marché immobilier (plus particulièrement celui de la côté belge). Acheté en 2006 par la société, il est incontestable, selon la Cour, que ce bien a pris de la valeur et que la société réalisera un bénéfice à la revente.

La Cour rappelle que ceci diffère des situations où la société n’est qu’usufruitière de l’immeuble.

L’évolution croissante du marché immobilier implique que (presque) tout immeuble contiendrait une sorte de plus-value latente à long terme, justifiant son acquisition par la société, au-delà de l’unique objectif de rémunérer son gérant en contrepartie de ses prestations.

Le libre choix du type de rémunération - Enfin, à l’instar de son homologue montoise, la Cour d’appel d’Anvers rappelle qu’il n’appartient pas à l’administration, ni à la Cour, d’apprécier les causes ou les justifications économiques du choix de tel ou tel type de rémunération.

Ce qui peut sonner comme une évidence ne l’est plus forcément aux yeux de l’administration qui, dans ce type de dossier, a tendance à oublier que chaque contribuable est libre de choisir la voie la moins imposée. Ceci nous parait d’autant plus fondamental que, en l’espèce, cette voie est tracée par le législateur fiscal lui-même lorsqu’il détermine les méthodes d’évaluations forfaitaires de certains avantages de toute nature. En outre, emprunter cette voie est régulièrement validé par le Service des Décisions Anticipées, notamment en matière de plan cafétéria (permettant au personnel d’une société de « troquer » certains aspects de sa rémunération contre des avantages de toute nature, moins fiscalisés).

Bien entendu, à charge de ceux qui souhaitent privilégier des rémunérations en nature de s’assurer du respect des dispositions législatives et des enseignements de la jurisprudence que nous venons de développer.

A ce titre, nous ne pouvons que saluer le fait que les cours d’appel semblent désormais aller dans la même direction... celle de la mer du nord ?

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