26/10/12

Les Partenariats-publics privés, nouveau mode de gestion des services publics ?

Le concept

Le succès croissant des PPP n'est plus à démontrer. Le concept est cependant loin d'être neuf puisqu'on le rencontrait déjà en France au XIXème siècle au travers des délégations de services publics et même au Moyen-Age. D'inspiration anglo-saxonne dans sa forme moderne 1, ce vocable à la mode n'a cessé de gagner du terrain depuis deux décennies. Force est cependant de constater que s'il répond à un besoin économique, il ne recouvre aucune réalité juridique uniforme et n'est d'ailleurs pas règlementé comme tel en Belgique, pas davantage qu'au niveau européen. La Flandre s'est certes dotée d'un décret encourageant la mise en place de partenariats au niveau régional et local en assouplissant notamment le régime de protection des biens publics pour permettre leur valorisation dans le cadre de tels projets. Les deux autres régions ont pour leur part adopté des mesures limitées à certains secteurs comme la revitalisation urbaine, le logement social ou le traitement de déchets, entre autre par l'octroi de subventions. Ces interventions législatives demeurent toutefois très limitées.

La Commission européenne a par ailleurs édité en 2004 un Livre Vert sur les partenariats public-privés et sur le droit communautaire des marchés publics et des concessions rappelant les principes et règles essentiels régissant ces partenariats quelle que soit leur forme.

Ce Livre Vert définit les PPP comme «des formes de coopération entre les autorités publiques et le monde des entreprises qui visent à assurer le financement, la construction, la rénovation, la gestion ou l'entretien d'une infrastructure ou la fourniture d'un service».

Caractéristiques et structuration d'un PPP

Quoi qu'avec certaines nuances, l'on s'accorde généralement pour attribuer certaines caractéristiques de base à tout partenariat de ce type : il s'agit d'accords à long terme, offrant à l'autorité publique des prestations globales en termes de services, de travaux et de financement. Le partenaire privé y joue en principe un rôle moteur tant en termes de conception du projet que de réalisation, de mise en œuvre et de gestion de celui-ci. Le partenariat repose également sur une allocation des risques principalement à charge de l'opérateur économique afin de garantir la neutralité SEC 95 de l'opération. Le rôle du pouvoir public se situe dès lors davantage au niveau de la définition des performances, des objectifs et des coûts maximaux.

La structuration de l'opération revêt dans ce cadre une importance primordiale pour toutes les parties intéressées, qu'il s'agisse du partenaire, de l'autorité ou des organismes appelés à financer le projet. Plus spécialement, la faisabilité de l'opération doit être minutieusement analysée à la lumière de sa «bancabilité» (c'est-à-dire à la fois sa rentabilité pour le partenaire privé et sa sécurité pour les créanciers, notamment les banques).
Dans cette optique, l'ensemble des mécanismes de sûretés mis en place (gage ou cessions de créances, possibilité de constituer une hypothèque sur les biens du partenaire public en fonction de leur statut ou sur des biens construits par le partenaire privé sur la base d'un droit réel démembré, gages sur les créances détenues par l'autorité publique, caractère subsidiable de l'opération...) devra faire l'objet d'un audit préalable poussé.

Le choix de la forme du PPP, contractuel (se fondant sur des liens purement conventionnels) ou institutionnalisé -PPPI- (impliquant une coopération au sein d'une entité d'économie mixte, ayant la personnalité juridique et donc distincte des partenaires) est par ailleurs décisive à maints égards.

Le choix de la voie institutionnelle n'est ainsi notamment pas toujours permis et impose dans certains cas de maintenir le partenaire dans une position minoritaire, ce qui peut être contre-indiqué. En revanche, cette forme de partenariat engendre non seulement une mise en commun de tous les intérêts concernés mais permet également d'isoler les risques au sein d'une structure spécifique et partant de les canaliser, sachant toutefois que l'actionnaire privé sera souvent appelé à fournir des garanties personnelles à son associé, voire aux organismes financiers impliqués. L'aspect fiscal de chaque structure influera également sensiblement sur le choix final de la forme de coopération.

Règles en matière de choix du partenaire

L'absence de règlementation spécifique aux PPP ne signifie pas que les pouvoirs publics pourraient librement choisir leurs partenaires.

Quelle que soit la forme de coopération et quel que soit le projet, le PPP obéira toujours à certaines règles, plus ou moins strictes en fonction de l'objet des prestations à fournir.

Par ordre d'exigence décroissant, on évoquera tout d'abord les règles applicables aux marchés publics, ceux-ci s'entendant de contrats à titre onéreux portant sur l'exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services moyennant une rémunération non aléatoire du partenaire. Les notions de travaux, de services ou de fournitures se comprennent au sens large et recouvrent des aspects que l'on retrouve fréquemment dans des PPP. Ainsi, les marchés de travaux englobent la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux besoins du pouvoir adjudicateur et peuvent viser non seulement l'exécution des travaux mais aussi intégrer leur conception et/ou leur préfinancement (marchés de promotion). Dans le cadre d'un marché, le partenaire n'assume toutefois pas les risques de gestion du projet ni ceux de sa rentabilité. Le partenariat y trouve néanmoins sa place dès lors qu'une dimension financière y est intégrée comme dans le cas de grandes infrastructures.

Les règles relatives aux marchés publics sont dérivées du droit européen et reposent sur les principes fondamentaux d'égalité, de transparence et de maintien de la concurrence au sein de l'Union européenne. Le cadre fixé par la loi est à cet égard rigide et peu adapté à la complexité des PPP. Les négociations nécessaires à l'élaboration de tels projets n'y sont en effet admises qu'à titre exceptionnel.

Le « dialogue compétitif », récemment introduit en droit belge sur la base d'une directive européenne, vise toutefois à répondre à ces préoccupations pour des projets présentant une complexité particulière. Cette procédure plus souple permet en effet d'affiner les conditions techniques, financières et juridiques de l'opération en concertation avec les candidats et pourrait donc se révéler plus adaptée à certains partenariats. Son régime juridique suscite toutefois diverses interrogations (voy. la contribution du bureau Elegis).

On sera également attentif au fait que sont soumis à la règlementation, non seulement les pouvoirs publics classiques (Etat, communautés, régions, communes, provinces,...) mais aussi des entités même constituées sous une forme de droit privé (s.a., s.c.r.l., a.s.b.l.,...) dépendant des pouvoirs publics et chargées de missions d'intérêt général.

La technique de la concession consiste pour sa part à transférer la gestion et/ou l'exploitation d'un ouvrage à construire (concession de travaux, contrats DBFO (Design, Build, Finance, Operate)) ou d'un service public (concession de services), au partenaire concessionnaire. Il en va ainsi pour certaines infrastructures ou services assurés par un opérateur qui se rémunère au moyen de redevances perçues à charge des usagers.

L'attribution de concessions de travaux obéit à un régime moins contraignant que les marchés publics au sens strict, la partie publique pouvant librement négocier avec les candidats. Les concessions de services ne sont quant à elles réglées par aucun texte, même si un projet est à l'étude au niveau de l'Union européenne, et bénéficient d'une souplesse plus grande encore.

L'on notera enfin que la constitution d'une société ou la conclusion d'une transaction sur participations en vue d'un PPPI échappent en principe à la règlementation des marchés publics et des concessions, encore que le pouvoir public soit également tenu en ce cas par les règles générales de transparence, d'égalité et de mise en concurrence. Si l'objectif final des parties est en réalité de confier au véhicule dédié une mission relevant de la définition des marchés, les dispositions tant internes qu'européennes lui seront cependant intégralement applicables.

Un nouveau mode de gestion des services publics ?

L'approche intégrée confiant l'ensemble du projet à une même entité ou à un nombre limité d'intervenants permet fréquemment des économies et un gain de temps considérable dans la mise en place du projet (réduction du nombre de procédures de désignation) et sa réalisation (meilleure articulation des phases préparation, de conception et d'exécution), au service d'une plus grande efficacité.
Cette technique recèle toutefois également certaines contraintes et limites.
Recherchée pour la modernisation et la dynamique, tant technique qu'organisationnelle, qu'elle permet d'insuffler à la gestion de services ou de projets publics, la formule du PPP recèle en effet au premier chef une dimension budgétaire dans le chef du pouvoir public. Par la recherche de financements alternatifs, il poursuit en effet un objectif de déconsolidation de la dette qui passe cependant et nécessairement par un transfert substantiel de risques au partenaire privé dont l'intérêt divergera dès lors dans une certaine mesure de celui de son partenaire public. La communauté d'intérêts recherchée s'en trouve ainsi fragilisée à la base.
Il n'échappera par ailleurs à personne que la mise en place d'un partenariat requiert d'importants investissements en termes de préparation du projet, que ce soit dans le chef de l'autorité ou des candidats, ne fût-ce qu'au stade de leur sélection. Un défraiement n'est au demeurant pas toujours prévu.

La complexité inhérente à ces opérations et leur durée exposent par ailleurs les partenaires privés à des risques non négligeables (notamment l'évolution des coûts d'exploitation ou des contraintes légales et réglementaires).
Enfin, la protection spéciale accordée aux biens des personnes publiques, spécialement à leurs actifs immobiliers, peut limiter leur mobilisation à des fins de garantie, notamment des emprunts contractés auprès des banques.
Il va sans dire que la décision même de participer à un partenariat doit dès lors être soigneusement pesée, documentée et auditée sous tous ses angles (fiscal, juridique, comptable, technique, contractuel ...).

Seul un processus pluri et interdisciplinaire permet d'y parvenir dans des conditions de sécurité raisonnables.

Il en résulte que seuls certains acteurs économiques majeurs ont véritablement accès au marché des PPP, du moins les plus importants, circonstance de nature à freiner une concurrence tant prônée au sein de l'Union.

1Le concept de PFI (Public Finance Initiative) est d'inspiration australienne et a été pour la première fois mis en œuvre en Europe par le Gouvernement de John Majour au début des années '90.

dotted_texture