05/12/11

La conciliation fiscale : vers une évolution de l’esprit du contentieux ?

La loi du 25 avril 2007 a créé le « Service de conciliation fiscale ». Selon les termes de la loi, cette cellule autonome du Service public des finances « examine les demandes de conciliation dont il est saisi, en toute objectivité, impartialité et indépendance et dans le respect de la loi ; il tend à concilier les points de vue des parties et leur adresse un rapport de conciliation ». Ce récent service est toutefois seulement opérationnel depuis juin 2010 et il est donc à ce jour fort peu connu des fiscalistes et encore souvent méconnu des contribuables.

Ce service a donc pour objectif de tenter de concilier l’administration et le contribuable en cas de litige ; et ce pour l’ensemble des impôts relevant de la compétence du SPF Finances : impôts sur les revenus, TVA, revenu cadastral, douanes et accises, droits d’enregistrements (à l’exclusion des droits d’hypothèque et de greffe) et droits de succession.

Concrètement, le contribuable - personne physique ou morale - peut faire appel au service de conciliation (par email, fax, courrier ou oralement lors des permanences organisées) tant que le litige se trouve dans la phase administrative ; ce qui implique qu’une réclamation ait été préalablement introduite. La mission de ce service est limitée par le caractère d’ordre public de la législation fiscale : son intervention ne donc aboutir à une exemption ou modération d’impôt contraire à la loi fiscale. Le contribuable fera généralement appel à lui pour des questions ou situations de fait comme dans le cas du rejet du caractère professionnel d’une dépense, dans le cas d’une discussion sur la réalité des dépenses du ménage lors d’une taxation indiciaire, en cas de refus du receveur de permettre au contribuable ou à un assujetti de payer l’impôt en plusieurs fois, dans la situation où une garantie exigée par le receveur est impossible à fournir, etc.

Une fois saisi, le service de conciliation fiscale fixe alors un calendrier où les parties sont invitées à échanger leur point de vue. A la fin de cette procédure, le conciliateur remet un rapport de conciliation, dans lequel il ne peut que constater le compromis ou les points divergents des interlocuteurs. En pratique, il est évident que le service de conciliation prendra position sous forme d’un « avis » qui permettra peut-être à l’administration fiscale ou au contribuable d’admettre une décision ou un fait établi et ainsi éviter une procédure judiciaire. Mais il ne prononce aucune décision contraignante pour les parties : le contribuable n’est pas lié par ce rapport et peut en conséquent porter son litige devant le tribunal de première instance s’il n’est pas d’accord avec la décision rendue par le Directeur des contributions. En revanche, si l’administration conclut un compromis avec le contribuable, elle sera liée par celui-ci étant donné qu’il s’agit d’un accord administratif. Le fisc ne pourra donc pas ultérieurement, lors de la réponse à la réclamation, changer d’avis en rendant une toute autre décision.

La conciliation fiscale est un procédé qui s’inscrit dans la lignée de bon nombre de modes alternatifs de résolution des conflits (« MARC’s ») ayant fleuri ces dernières années dans le paysage juridique. L’objectif de cette initiative est de réduire l’arriéré judicaire grandissant en matière fiscale (à Bruxelles, les dates d’audiences sont aujourd’hui fixées au plus tôt fin 2014 !) et de réduire de manière générale les contentieux judicaires parfois injustifiés et coûteux en termes humains et financiers. Si l’objectif initial de ce nouveau procédé est parfaitement louable, il n’a toutefois pas échappé aux critiques des praticiens du droit fiscal, certains y voyant un « nouveau bidule fiscal » ou un « leurre » pour les contribuables.

Tout d’abord, il a été reproché la création de ce service au sein même du SPF Finances, et le fait qu’il soit composé d’anciens membres de l’administration fiscale pour la plupart. Cela représente inévitablement un handicap quant à son objectivité et son impartialité, pourtant voulues par le législateur. Il est en effet malaisé d’être à la fois conciliateur et partie…

Ensuite, selon la doctrine, les chances de réussite de ce service sont également hypothéquées par le fait qu’il n’est pas compétent pour interpréter la loi, ce qui limite sérieusement les possibilités de son intervention. Le service de conciliation fiscale ne pourra, par exemple, pas empêcher le fisc de continuer à appliquer une position condamnée par la jurisprudence ou une circulaire manifestement illégale.

Enfin, la conciliation fiscale peut s’avérer être une arme à double tranchant pour le contribuable car, dans le cas où l’avis du service de conciliation ne penche pas en sa faveur, il fera néanmoins partie du dossier administratif et le juge qui sera ultérieurement amené à se prononcer sur le litige y aura donc accès. En conséquent, il est légitime de craindre que cet avis négatif puisse influencer la décision du magistrat en défaveur du contribuable.

A en regarder le nombre croissant de demandes introduites, le Service de conciliation fiscale est un succès : 1198 demandes en 2010, déjà plus de 2000 demandes depuis début 2011. Sans pour autant démolir cette réussite grandissante, l’utilité de la conciliation fiscale doit être prouvée sur le terrain et remplir concrètement son rôle, à savoir diminuer le nombre de litiges portés devant la justice. A ce titre, aucun chiffre ne permet d’affirmer ou d’infirmer l’utilité et donc le véritable succès de ce service.

En conclusion, il convient dans un premier temps de féliciter cette initiative qui se veut moderne et pragmatique. Elle a le mérite de tenter d’apporter une réponse parmi d’autres pistes pour lutter contre un arriéré judicaire croissant, intolérable pour les contribuables et inadmissible dans un Etat de droit. Dans un second temps, et outre les améliorations nécessaires à y apporter, le Service de conciliation fiscale n’a pas encore prouvé qu’il remplissait pleinement son rôle. Il lui appartient donc, à l’avenir, de démontrer son efficacité. Enfin, attirons tout de même l’attention du contribuable sur le fait qu’il ne coûte rien de faire appel à ce service et qu’il doit lui être gardé à l’esprit « qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ».

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