27/05/19

Une nouvelle directive réprimant les pratiques commerciales déloyales dans le secteur de la distribution alimentaire

Les pratiques commerciales des grandes enseignes du secteur alimentaire ont déjà fait couler beaucoup d’encre. La Commission européenne estime que les pratiques abusives de celles-ci représenteraient un coût de 2,5 à 8 milliard d’euros chaque année aux PME agricoles et agroalimentaires.  Pour la première fois, une directive européenne vise à mettre fin à certaines pratiques considérées comme déloyales.

Contexte et objectif

Un an après la proposition de la Commission européenne, la directive 2019/633 relative aux pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises dans la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire vient d’être publiée au Journal Officiel ce 17 avril 2019.

La directive a pour objectif affiché de mettre un frein à certaines pratiques de grandes entreprises, mais aussi d’entreprises de taille moyenne, qui achètent des produits agricoles ou alimentaires à des fournisseurs de taille inférieure. Le critère retenu par la Commission est celui de la taille relative d’un fournisseur par rapport à un acheteur (ainsi, par exemple, un fournisseur qui réalise un chiffre d’affaires inférieur à 2 M € sera protégé par la directive si son acheteur réalise un chiffre d’affaires supérieur à 2 M €). Les fournisseurs qui réalisent un chiffre d'affaires annuel dépassant 350 M € et ceux qui vendent à des acheteurs dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 2 M € ne sont pas protégés par la directive.

La directive concerne la vente de produits agricoles et alimentaires entre un fournisseur (une organisation de producteurs, un grossiste, un transformateur, etc) et un acheteur (un détaillant, une chaîne de magasins, un grossiste, etc) dont au moins l’un des deux est établi dans l’UE. Les accords entre fournisseur et consommateur ou entre distributeur et consommateur ne sont pas concernés.

Les pratiques déloyales visées

La directive interdit 16 pratiques commerciales déloyales.

Elle établit une distinction entre une liste «noire» et une liste «grise» de pratiques. Alors que les pratiques commerciales déloyales de la liste noire sont interdites, quelles que soient les circonstances, les pratiques de la liste grise sont autorisées si le fournisseur et l’acheteur en conviennent au préalable de manière claire et non équivoque. La directive ne contient donc pas de norme générale interdisant les pratiques commerciales déloyales en général, mais cible les pratiques considérées comme les plus dommageables.

Les pratiques déloyales reprises dans la liste noire sont, en substance, les suivantes :

  1. le fait de fixer des échéances de paiement de plus de 30 jours pour les produits agricoles et denrées alimentaires périssables et de plus de 60 jours pour les autres produits agroalimentaires ;
  2. l’annulation à brève échéance de commandes de produits agroalimentaires périssables. Toutefois, les contrats scolaires et de soins de santé ne sont pas couverts par cette interdiction ;
  3. les modifications de contrat décidées unilatéralement par l’acheteur ;
  4. les paiements sans lien avec la vente de produits agricoles et alimentaires ;
  5. le transfert des risques de perte et de détérioration sur le fournisseur ;
  6. le refus de l’acheteur de confirmer par écrit le contrat de fourniture au fournisseur, malgré les demandes de ce dernier ;
  7. l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite de secrets d’affaires du fournisseur par l’acheteur ;
  8. le fait de procéder à des représailles commerciales envers le fournisseur ou la menace de procéder à celles-ci, si l’acheteur exerce ses droits légaux ;
  9. le transfert, vers le fournisseur, des coûts liés à l’examen des plaintes des clients.

Les pratiques visées par la liste grise sont quant à elle les suivantes :

  1. l'acheteur renvoie des produits agricoles et alimentaires invendus au fournisseur sans payer pour ces invendus ou sans payer pour l'élimination de ces produits;
  2. le fournisseur est tenu d'effectuer un paiement pour que ses produits agricoles et alimentaires soient stockés, exposés ou référencés ou mis à disposition sur le marché;
  3. l'acheteur demande au fournisseur qu'il supporte tout ou partie des coûts liés à toutes remises sur les produits agricoles et alimentaires qui sont vendus par l'acheteur dans le cadre d'actions promotionnelles;
  4. l'acheteur demande au fournisseur qu'il paie pour la publicité faite par l'acheteur pour les produits agricoles et alimentaires;
  5. l'acheteur demande au fournisseur qu'il paie pour la commercialisation de produits agricoles et alimentaires par l'acheteur;
  6. l'acheteur fait payer par le fournisseur le personnel chargé d'aménager les locaux utilisés pour la vente des produits du fournisseur.

Les États membres devront désigner des organismes chargés d'enquêter sur les pratiques déloyales. Les autorités nationales auront également le pouvoir d’effectuer des visites inopinées, d'infliger des amendes, de prendre des mesures provisoires, de publier leurs décisions ou encore de sanctionner d'une autre manière les entreprises concernées. Un mécanisme de plainte, incluant l’anonymat du plaignant, devra également être mis sur pied.

Entrée en vigueur

D’ici le 1er mai 2021, la directive devra avoir été transposée dans le droit national des Etats membres, lequel devra entrer en application au plus tard le 1er novembre 2021. Les contrats d'approvisionnement existants devront être révisés pour être conformes à la directive d'ici le 1er mai 2022.

Ce qu’il faut retenir

Cette directive constitue par ailleurs une directive d’harmonisation minimale. Les États membres peuvent donc maintenir ou introduire dans leur droit national des règles visant à lutter contre les pratiques commerciales déloyales plus strictes que celles fixées dans la directive. Ils ne peuvent par contre adopter des dispositions qui assouplissent le régime fixé par la directive. Différents régimes juridiques existeront donc nécessairement entre les Etats membres.

Du point de vue de la Belgique, l’adoption de la directive s’inscrit par ailleurs dans le contexte des des livres IV et VI du Code de droit économique, qui ne visent pas uniquement le secteur alimentaire, mais toutes les relations entre entreprises. Ces nouvelles règles, qui viennent d’être publiées au Moniteur belge ce 24 mai, interdisent l’abus de dépendance économique, les clauses abusives dans les contrats entre entreprises, ainsi que les pratiques trompeuses et agressives à l’égard des entreprises.

Il conviendra d’examiner comment le législateur fera coexister ces deux régimes, qui modifieront tous deux en profondeur les pratiques des entreprises, en particulier dans le secteur alimentaire.

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