13/04/17

Condition d’honorabilité des intermédiaires d’assurance et réhabilitation du failli (C.C., arrêt n° 43/2017 du 30 mars 2017).…

Dans son arrët du 30 mars 2017, la Cour constitutionnelle constate une discrimination entre, d’une part, les personnes physiques qui peuvent bénéficier de l’excusabiliteé et de la réhabilitation prévues par la loi sur les faillites et, d'autre part, les dirigeants d’une société commerciale déclarée en faillite, qui ne peuvent prétendre à ces mesures.

La Cour constitutionnelle considère que les articles 91, 3°, et 92, 2°, de la loi du 26 octobre 2015 modifiant le Code de droit économique et portant diverses autres dispositions modificatives (ci-après, « la loi du 26 octobre 2015 ») ne sont pas compatibles avec le principe d’égalité et de non-discrimination, combiné avec le droit d’accès au juge et, en conséquence, annule ces dispositions dans la mesure où elles empêchent les dirigeants de demander leur réhabilitation par la voie judiciaire, et les exclut en conséquence de la profession d’intermédiaire d’assurance et de réassurances. 

La discrimination dénoncée par l’association professionnelle « Beroepsvereniging van Zelfstandige financiële Bemiddelaars » résulte de la combinaison des règles suivantes.

D’une part, les articles 91, 3°, et 92, 2° de la loi du 26 octobre 2015 modifient les articles 268 et 269 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances pour y ajouter une condition d’honorabilité que doivent remplir les intermédiaires d’assurances et de réassurance – personnes physiques (ar cle 268) ou personnes morales (article 269) - pour obtenir et conserver leur inscription au registre des intermédiaires d’assurances et de réassurance.

Le législateur transpose ainsi en droit belge l’article 4, paragraphe 2 de la directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 9 décembre 2002 sur l’intermédiation en assurance et l’article 10, paragraphe 3 de la directive 2016/97/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (refonte).

La condition porte en substance sur le fait de ne pas avoir été responsable d’une faillite. Ceci conduit le législateur à définir trois catégories de personnes dépourvues de la condition d’honorabilité : 

(i) les personnes [physiques] qui ont été déclarées en faillite, aà moins qu’elles aient été réhabilitées;

(ii) les administrateurs et les gérants d’une société commerciale déclarée en faillite, dont la démission n’a pas été publiée aux Annexes du Moniteur belge un an au moins avant la déclaration de la faillite de la société;

(iii) toute personne qui, sans être administrateur ou gérant, a effectivement détenu le pouvoir de gérer la société déclarée en faillite.

D’autre part, la loi du 8 août 1997 sur les faillites prévoit que :

(i)  les personnes physiques déclarées en faillite sont en principe excusées à la clôure de la faillite (art. 80, al. 2);

(ii) l’excusabilité vaut réhabilitation (art. 110);

(iii)  les personnes physiques non excusées peuvent, ultéieurement et après avoir remboursé tout le passif, demander leur réhabilitation à la Cour d’appel (art. 109);

(iv) les personnes morales ne sont jamais excusables (art. 81). 

Le droit de la faillite ne prévoit pas l’excusabilité et la réhabilitation pour les dirigeants de personnes morales faillies.

Ainsi, les personnes physiques qui ont été déclarées en faillite peuvent être (et sont le plus souvent) réhabilitées et rempliront donc la condition pour exercer l’intermédiation en assurances et en réassurance, alors que les dirigeants de personnes morales faillies ne sont pas (et surtout ne peuvent jamais être) réhabilités de sorte qu’ils sont définitivement exclus des professions précitées.

Cette exclusion perpétuelle est imposée sans que son bien-fondé puisse être apprécié par une juridiction, alors qu’un juge peut se prononcer sur l’excusabilité ou la réhabilitation des faillis personnes physiques, ce qui constitue une violation du principe d’égalité en lien avec le droit d’accès au juge, consacré notamment par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En d’autres termes, en adoptant les dispositions attaquées, le législateur crée une différence de traitement injustifée entre les dirigeants de personnes morales et les autres personnes physiques qui, seules, peuvent bénéfficier de l’excusabilité ou de la réhabilitation en vertu de la loi sur les faillites. Les dirigeants perdent irrévocablement la possibilité d’être inscrits au registre des intermédiaires d’assurances et de réassurance ou de conserver cette inscription, puisqu’ils sont assimilés au failli sans pouvoir profiter d’aucune possibilité de réhabilitation.

La Cour consttutionnelle met en exergue la circonstance que les directives 2002/92/CE et 2016/97/UE – dont la loi du 26 octobre 2015 constitue la transposition – n’établissent aucune distinction selon que l’intéressé a été déclaré en faillite en tant que personne physique ou a été dirigeant d’une société commerciale déclarée en faillite. Le législateur belge peut certes renforcer les exigences professionnelles ou prévoir des conditions supplémentaires pour les intermédiaires d’assurances ou de réassurance inscrits sur son territoire, mais il ne peut agir de manière discriminatoire dans l’exercice de cette compètence.

Pour ces différents motifs, la Cour constitutionnelle accueille le moyen invoqué par la requérante et, en conséquence, annule les articles 91, 3°, et 92, 2°, de la loi du 26 octobre 2015, uniquement dans la mesure où ils empêchent les administrateurs et gérants visés ci-dessus de demander leur réhabilitation à un juge. 

Cet arrêt met en lumière la position défavorable dans laquelle se trouvent certains dirigeants (de fait ou de droit) d’une société déclarée en faillite dès lors que les dispositions annulées parallellement créent une interdiction irrévocable d’exercer une activité en tant qu’intermédiaire d’assurances ou de réassurance.

Or, comme le montre la disposition applicable aux faillis personnes physiques, le législateur reconnaît à juste titre l’absence d’un lien automatique entre la faillite et l’aptitude professionnelle des personnes intéressées. La Cour rappelle que les dirigeants d’une société commerciale en faillite peuvent (aussi) être malheureux et de bonne foi – par opposition aux administrateurs et aux gérants qui se seraient rendus coupables d’une faute grave et caractérisée ayant contribué à  la faillite de leur société–, ce qui justifie qu’on leur reconnaisse, dans certaines conditions, l’honorabilité requise pour entamer à nouveau une activité professionnelle réglementée.

Par les dispositions partiellement annulées, le législateur soumet en réalité le dirigeant de société au même traitement que l’entrepreneur personne physique, dans une hypothèse qui lui est cependant défavorable. La Cour admet cette assimilation, mais impose qu’elle soit aussi appliquée pour les dispositions favorables au dirigeant. Elle invite ainsi le législateur à créer un cadre légal permettant aux dirigeants de bénéficier d’une réhabilitation postérieure à la faillite ou d’une mesure similaire attestant de leur honorabilité malgré la faillite qu’ils ont vécue. 

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