12/06/12

Une ordonnance européenne en matière de saisie conservatoire des comptes bancaires en Europe : les débiteurs récalcitrants n’…

Abstract

La proposition de règlement présentée par la Commission européenne le 25 juillet 2011 a pour objectif d'instituer une nouvelle procédure européenne de saisie conservatoire des fonds détenus par le débiteur sur un compte bancaire situé dans un autre Etat membre. Cette procédure s'appliquera dans des conditions identiques dans l'ensemble des Etats membres de l'Union.
Elle sera facultative, autonome et indépendante des procédures nationales existantes qui ne subiraient aucune modification. De nature conservatoire, cette procédure n'aura pour effet que de bloquer le compte du débiteur, sans que l'argent qui y est détenu puisse être versé au créancier.


1. Introduction

1. Le 25 juillet 2011, la Commission européenne a publié une proposition de règlement portant la création d'une ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires, destinée à faciliter le recouvrement transfrontière de créances en matière civile et commerciale1.

Depuis plus d'une décennie, la Commission a souligné les difficultés inhérentes au recouvrement transfrontière des créances et a donc insisté sur la nécessité d'améliorer l'exécution des décisions et d'établir des mesures conservatoires visant les avoirs du débiteur au niveau de l'U2.

2. Quatre lacunes majeures ont été constatées par la Commission :

a) Les conditions dans lesquelles des ordonnances de saisie conservatoire des avoirs bancaires sont délivrées selon le droit national varient considérablement à travers l'UE ;
b) Il est impossible pour un créancier d'obtenir des informations sur la localisation du compte bancaire de son débiteur sans avoir recours aux services d'agences privées ;
c) Les coûts d'obtention et d'exécution d'une ordonnance de saisie conservatoire des comptes bancaires dans une situation transfrontière sont supérieurs à ceux exposés dans les cas nationaux ;
d) Les disparités entre les procédures nationales d'exécution et leur durée respective constituent un grave problème pour les créanciers qui cherchent à faire exécuter une décision judiciaire.

Actuellement, un créancier a peu de chances de bloquer les avoirs bancaires d'un débiteur situé au sein de l'UE pour garantir le paiement de sa créance. Par conséquent, de nombreux créanciers sont incapables de recouvrer leurs créances à l'étranger ou ne jugent pas utile d'essayer et y renoncent définitivement.

3. La proposition de règlement de la Commission a pour objectif de proposer un instrument judiciaire comme alternative aux procédures prévues par le droit national aux fins de l'obtention rapide et à moindre coût, de la saisie conservatoire de comptes bancaires des débiteurs redevables de créances pécuniaires en matière civile et commerciale.

Ce nouveau régime est institué à titre facultatif (un deuxième régime connu sous le nom de « 28ème régime ») comme alternative aux mesures de nature conservatoire existantes dans les Etats membres ou à utiliser en parallèle avec celles-ci, qui est de même nature et poursuit le même objectif.

2. Les mesures proposées par le futur règlement

4. Cet instrument serait applicable, en matière civile et commerciale, aux affaires revêtant une dimension transfrontalière. Les domaines exclus du champ d'application correspondent dans une large mesure à ceux du règlement Bruxelles I sauf pour les régimes matrimoniaux, les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés (PACS) et les successions dès que les instruments juridiques proposés par la Commission dans ces deux domaines auront été adoptés et seront entrés en application.

La proposition de règlement s'applique au-delà des liquidités déposées sur des comptes bancaires et visent d'autres instruments financiers 3.

5. L'ordonnance peut être requise et décrétée à différents moments :

a) avant l'ouverture d'une procédure judicaire de condamnation ou d'exécution à l'encontre du défendeur;
b) à n'importe quelle étape de la procédure judiciaire;
c) après obtention de la condamnation du défendeur ou d'un autre titre ayant force exécutoire dans l'État membre d'origine, mais qui n'a pas encore force exécutoire dans l'État membre où se trouve le compte;
d) après obtention d'un titre exécutoire qui aurait déjà force exécutoire dans l'État membre où se trouve le compte.

6. Les juridictions compétentes pour délivrer l'ordonnance sont les suivantes :

a) Les juridictions des Etats membres compétentes sur le fond ;
b) Les juridictions des Etats membres où le compte est situé ;
c) Si le créancier a déjà obtenu un titre exécutoire : soit la juridiction ayant délivré le titre exécutoire, soit l'autorité d'exécution de l'Etat membre où le compte bancaire est situé.

Ces règles de compétence n'empêchent pas un demandeur de solliciter des mesures conservatoires en vertu du droit national sur le fondement de l'article 31 du Règlement Bruxelles I.

7. Conformément à l'approche générale adoptée dans la grande majorité des Etats membres, le créancier doit démontrer que :

• sa créance est, à première vue, bien fondée;
• l'exécution d'une décision judiciaire ultérieure risque d'être mise en échec si la mesure n'est pas accordée parce que le débiteur risque de déplacer ou de dilapider ses avoirs.

La juridiction pourrait également exiger du créancier le dépôt d'une garantie, afin d'assurer la réparation de tout préjudice susceptible d'être subi par le défendeur.
8. Dans le but de ménager un « effet de surprise », l'ordonnance sera délivrée au terme d'une procédure non contradictoire sauf dans l'hypothèse où le requérant demandera que la procédure soit contradictoire.

9. Les ordonnances de saisies seront automatiquement reconnues et exécutées dans tout autre Etat membre sans qu'une procédure spéciale soit requise.

10. L'ordonnance a vocation à être exécutée dès sa signification ou sa notification, par l'autorité compétente, à la ou les banques gérant les comptes visés. Dans l'hypothèse où la signification ou notification revêt une dimension transfrontière, les documents à signifier ou à notifier seront transmis directement de la juridiction d'origine (ou du demandeur) à l'autorité compétente de l'Etat membre d'exécution qui, à son tour, les signifiera ou les notifiera à la banque ou au défendeur.

11. La banque aura l'obligation de :

• mettre immédiatement en œuvre l'ordonnance en bloquant la somme correspondante ; et de ;
• publier dans les 8 jours une déclaration indiquant si des fonds suffisants ont fait l'objet d'une saisie conservatoire.

12. La proposition de règlement veut limiter la possibilité d'une saisie excessive en obligeant le créancier à libérer toute somme excédant le montant de sa créance dès qu'il est informé de la situation.

13. Enfin, le débiteur peut contester la saisie de ses comptes bancaires en formulant ses objections :

• devant la juridiction d'origine (celle qui a délivré l'ordonnance) ;
• devant la juridiction de l'Etat membre de l'exécution pour les montants exemptés.

Pour les débiteurs considérés comme étant « la partie la plus faible » (à savoir les consommateurs, les salariés et les assurés), ils pourraient exercer un recours contre l'ordonnance devant les juridictions de l'Etat membre de leur domicile.

3. Conclusion

14. La Commission a réussi à proposer dans un domaine d'une grande complexité, un régime juridique assurant un juste équilibre entre les différents intérêts en cause et entre les droits des différentes parties concernées.

En effet, la proposition de règlement contient une définition large des juridictions compétentes ainsi que du régime de contestation de la décision et d'interjection d'appel de l'ordonnance de même qu'une définition claire sur les voies de recours judiciaires ouvertes en vue de garantir la légalité de la procédure et les droits du demandeur et du défendeur.

La Commission prévoit en outre la non-inclusion dans la demande de montants autres que ceux correspondant à la créance exigible et non remboursée.

15. Toutefois, on regrette que la Commission ait opté pour un régime alternatif ou facultatif rendant plus complexe le choix juridique du créancier qui optera soit pour le régime national soit pour le régime européen. Un tel choix risquerait de créer une certaine ambigüité et confusion dans le chef des citoyens de l'UE qui devront choisir entre deux systèmes juridiques, ce qui nécessitera des coûts supplémentaires pour ces derniers qui devront demander conseil sur l'efficacité des deux systèmes.

L'introduction d'un système facultatif ne permettra pas de réduire les coûts d'obtention et d'exécution d'une ordonnance de saisie conservatoire des comptes bancaires dans une situation transfrontière et ne palliera pas à l'insécurité juridique ressentie par les créanciers dans ce domaine.

16. De plus, l'instauration d'un tel régime impliquera des coûts significatifs pour les Etats membres découlant de l'introduction d'une nouvelle procédure judiciaire dans l'ordre juridique de tous les États membres, compte tenu des différents aspects liés :

• à sa mise en œuvre, à l'information aux entreprises et aux consommateurs ;
• à la formation des juges, avocats, huissiers de justice et autres fonctionnaires de l'administration publique en général, et judiciaire en particulier, sans parler des dépenses supplémentaires de fonctionnement des structures judiciaires liées au traitement des différents formulaires dans les vingt-trois langues de l'UE, coûts qui ne sont pas comparables, du point de vue du rapport coûts/bénéfices, avec les économies estimées des entreprises et le montant attendu des recouvrements supplémentaires de dettes qui, peuvent varier selon les estimations dans une fourchette de 373 à 600 millions d'euros .

Par ailleurs, l'incertitude sur le coût total de la procédure et la nécessité de trouver la juridiction compétente, continueront à constituer un obstacle pour les créanciers. Cela pourrait avoir un effet défavorable sur les entreprises, notamment sur les petites entreprises.

17. Enfin, on déplore également non seulement la position du Danemark qui ne souhaite pas adhérer à cet instrument, selon sa déclaration de principe bien connue, mais plus particulièrement, l'annonce de la décision du Royaume-Uni de ne pas l'adopter alors que cet État membre précisément ne dispose pas d'instrument judiciaire de même nature, cette lacune du système judiciaire anglo-saxon étant une des principales préoccupations soulevées lors de la discussion du livre vert.

La Commission devrait voter le texte le 27 novembre 2012. Ce règlement ne devrait voir le jour que dans le courant de l'année 2013.

1COM (2011) 445 final, 2011/0204 (COD).
2Communication de la Commission de 1998 intitulée « Vers une efficacité accrue dans l'obtention et l'exécution de décisions au sein de l'Union européenne », JO C 33 du 31.1. 1998.  3Tels que définis à l'article 4, (1), point 17 de la Directive 2004/39/CE et à l'annexe I, sec C (JO L 145 du 30.04.2004, p 1).

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