10/09/10

Le principe de tolérance appliqué à l’art de bâtir - Partie 1

Introduction

1. Une construction immobilière est toujours le fruit d'un travail d'artisanat, même en cas d'utilisation d'éléments préfabriqués ou de constructions en série.


Quels que soient la rigueur des performances à atteindre et le soin apporté à l'exécution, la construction reste soumise aux divers aléas et impondérables qui influencent sa réalisation.

Le climat est imprévisible et les hommes ne sont pas des robots.

La conception est faillible et la mise en œuvre est imparfaite par définition puisqu'il s'agit d'une « œuvre ».

On a donc pu dégager à juste titre cet adage réaliste : « le degré zéro n'existe pas en construction », entendez par là que le maître de l'ouvrage doit accepter une certaine marge d'erreur et d'imperfection comme il devra se satisfaire de certains écarts par rapport à la commande.

La réception, généralement partagée en réception provisoire et définitive, n'est pas synonyme de certificat de perfection.

Même si on ne peut définir la réception définitive comme étant le constat de l'ouvrage exempt de tout vice ou manquement, il n'en demeure pas moins que cette réception ne signifie pas que l'ouvrage est une construction parfaite, mais que le maître de l'ouvrage peut l'accepter définitivement compte tenu des conventions qui lient les parties et des règles de l'art.

2. Le principe de tolérance s'applique donc en matière de construction.

Le CSTC (Centre Scientifique et Technique de la Construction) publie ce premier trimestre 2010 une édition spéciale : « Tolérances dans la construction » (n°1/2010).

Nous nous proposerons de commenter cette publication particulièrement bienvenue et indispensable à tout praticien de l'art de construire.


Mais auparavant, il n'est pas inutile de rappeler quelques principes concernant la responsabilité et les vices de matériaux.

La présente contribution s'attachera essentiellement aux vices de matériaux et aux défauts de leur mise en œuvre.


I. La responsabilité professionnelle : rappel des principes généraux.


Tout professionnel engage, par ses activités, un certain nombre de responsabilités.

A. La responsabilité civile

La responsabilité civile est contractuelle ou extracontractuelle.

1. La responsabilité contractuelle intéresse le cocontractant, en l'occurrence le maître de l'ouvrage ; elle s'apprécie, comme son nom l'indique, par référence aux dispositions du contrat qui lie les parties.

Au contrat d'entreprise ou d'architecture proprement dit s'ajoutent les diverses dispositions techniques et administratives contenues dans les documents de base : plans, cahiers des charges, métrés, descriptifs.

Les documents de base comportent également les conditions générales des différents intervenants et, notamment, des fabricants qui délivrent les plans de pose, conditions d'entretien, de garantie, etc.


2. La matière contractuelle est vivante et évolutive ; les parties adapteront les dispositions contractuelles en cours d'exécution du chantier par des modifications aux prescriptions contractuelles de base et qui seront constatées par avenant, procès-verbaux de chantier ou même par la correspondance échangée par les parties.


Indépendamment des écrits rappelés ci-avant, le comportement significatif des parties peut également entrer dans le champ contractuel sous certaines conditions.


Comme on le voit, les éléments contractuels qui servent de références à l'examen de la responsabilité contractuelle ne se limitent pas aux seuls contrats d'entreprise ou d'architecture sensu stricto.


3. D'autre part, la responsabilité civile professionnelle des constructeurs sera également appréciée par référence aux dispositions légales, normatives et déontologiques.

Parmi celles-ci figurent les « règles de l'art », concept assez vague qui, cependant, permettra à l'expert judiciaire et au Juge de vérifier si l'entrepreneur ou l'architecte s'est comporté dans le cas d'espèce conformément au standard du professionnel normalement prudent, compétent et diligent placé dans les mêmes conditions.


Bon nombre de ces règles de l'art ont, du reste, été codifiées et ont donné naissance aux normes.

La seule infraction à une loi, un règlement ou une norme est en soi constitutive de faute dans le chef du professionnel et peut engager, non seulement sa responsabilité contractuelle, mais aussi sa responsabilité extracontractuelle.


Les règles qui s'appliquent à la responsabilité civile contractuelle sont contenues dans les articles 1146 à 1155 du Code civil, sous le titre « Des dommages et intérêts résultant de l'inexécution de l'obligation ».


4. La responsabilité extracontractuelle ou quasi-délictuelle, ou encore aquilienne, fait l'objet des articles 1382 et 1383 du Code civil. La responsabilité extracontractuelle oblige l'auteur d'une faute à réparer le dommage qu'il a causé à autrui « en dehors de toute relation contractuelle préexistante entre l'auteur du dommage et la victime ou, à tout le moins, indépendamment de toute obligation née de ces relations » ( JL. FAGNART, Introduction générale au Droit de la responsabilité in Responsabilité théorique et pratique, KLUWER, Vol. 1, n° 36).

La responsabilité extra contractuelle provient de tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage et qui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1382 du Code civil).

Cette responsabilité ne s'apprécie pas par rapport à un contrat préexistant, mais suivant la comparaison avec le comportement qu'aurait adopté un professionnel normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances de fait.


Toute responsabilité civile suppose donc que soient réunis trois éléments que la victime devra démontrer : une faute, un dommage et un lien de causalité entre cette faute et ce dommage.


Notons que le maître de l'ouvrage cocontractant pourra invoquer à l'égard des constructeurs, non seulement la responsabilité contractuelle issue du contrat, mais également une responsabilité extracontractuelle pourvu qu'il puisse démontrer que la faute causée et le dommage subi sont tous deux de nature extracontractuelle.

B. La responsabilité pénale.

Enfin, tout professionnel peut également voir engager sa responsabilité pénale en vertu des dispositions du Code pénal, mais également des lois de plus en plus nombreuses qui régissent ou concernent la construction (citons à titre exemplatif la loi du 20 février 1939 concernant la protection du titre et de l'exercice de la profession d'architecte, récemment modifiée par la loi Laruelle du 15 février 2006 ou encore les dispositions légales en matière de promotion ou entreprise générale ( loi Breyne du 9 juillet 1971) , en en qui concerne l'accès à la profession ou en matière de bien-être des travailleurs).

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Ce bref rappel des principes généraux de la responsabilité professionnelle permet déjà de se rendre compte que cette matière est complexe et nuancée ; elle est loin d'être fixée mathématiquement.


Une grande place est ainsi réservée à l'interprétation.

Le pouvoir souverain d'appréciation du Juge s'exercera très largement sur les faits concrets de la cause, mais, compte tenu des aspects techniques prédominants en cette matière, le tribunal recourra presque toujours à l'avis préalable d'un expert judiciaire.
Celui-ci sera chargé d'examiner la situation et, notamment les vices, manquements et malfaçons constatés et, pour chacun de ceux-ci, de donner un avis technique et motivé concernant l'imputabilité ou la responsabilité de l'état de choses constatées.

Cette mission de l'expert, bien entendu, ne le substitue pas au Juge qui reste seul compétent pour fixer les responsabilités, dire le droit et trancher le litige.

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La présente contribution s'attachera essentiellement aux vices de matériaux et à leur mise en œuvre.

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II. Le vice de matériau


1. Dans le passé, les matériaux de construction étaient simples et peu élaborés : la pierre, le bois, le verre, le ciment, le sable, etc.

L'assemblage de ces matériaux se faisait suivant des techniques traditionnelles et éprouvées.


L'évolution scientifique et technologique a profondément influencé le secteur de la construction en proposant sur le marché de nouveaux types de produits, dont la complexité et les performances imposent une phase de conception et de confection préalable en usine ou en atelier.


Le développement du patrimoine immobilier a également contribué à modifier fondamentalement les méthodes de construction ; on pense, notamment, à l'irruption du phénomène de la promotion immobilière dans la trilogie classique maître d'ouvrage-architecte-entrepreneur.


Enfin, des exigences nouvelles, liées au confort de l'habitabilité, ou aux nécessités des économies d'énergie ont amorcé une révolution dans l'art de bâtir, qui n'en est encore qu'à ses premiers balbutiements ; bon nombre d'architectes et d'entrepreneurs ne paraissent pas encore en être totalement conscients.


Ces évolutions techniques, sociologiques et économiques ont bouleversé les données traditionnelles de base en ce qui concerne les matériaux de construction et leur mise en œuvre.


La Directive européenne 89/106 CEE du 21 décembre 1988 modifiée par la Directive 93/68 CEE du 22 juillet 1993, relative aux produits de construction, met en évidence six exigences essentielles : la résistance mécanique et la stabilité, la sécurité incendie, l'hygiène, la santé et l'environnement, la sécurité d'utilisation, la protection contre le bruit et, enfin, les économies d'énergie et l'isolation thermique.

Cette Directive a été transposée en droit belge par la loi du 25 mars 1996 et l'Arrêté royal du 19 août 1998 concernant les produits de construction

Suivant cette Directive , un produit est reconnu « apte à l'usage prévu » lorsqu'il possède des caractéristiques telles que les ouvrages dans lesquels il doit être incorporé, assemblé, appliqué ou installé peuvent satisfaire aux exigences essentielles auxquelles fait référence l'article 3 de la Directive, lorsque ces ouvrages sont soumis à des règlements contenant de telles exigences et pour autant que les ouvrages en question soient calculés et mis en œuvre convenablement.
Cette exigence doit être maintenue durant la durée de vie économiquement raisonnable du produit moyennant une maintenance normale des ouvrages.

Le marquage CE sur un produit est conditionné par l'attestation de conformité de ce produit par le fabricant suivant une procédure réglée.
Mentionnons encore la Directive 2001/95/CEE du 3 décembre 2001 relative à la sécurité générale des produits.


2. Un matériau peut être affecté d'un vice grave de nature à compromettre la stabilité ou la solidité de l'édifice et relever, par conséquent, de la responsabilité décennale des constructeurs (articles 1792 et 2270 du Code civil).

Le maître de l'ouvrage et ses ayant-causes (par exemple les copropriétaires d'un immeuble à appartements) disposent d'une action qu'ils peuvent mettre en mouvement dans les dix années qui suivent la réception des ouvrages.

La jurisprudence, depuis fort longtemps, admet que ce point de départ de la décennale puisse être fixé à la réception provisoire, pour autant que les parties ont entendu attacher à cette réception un effet d'agréation.


3. Si le vice est véniel ou mineur, il conviendra de distinguer s'il était apparent ou non a la réception.

Dans le premier cas, l'architecte risque d'engager sa responsabilité pour ne pas avoir conseillé au maître de l'ouvrage de dénoncer le vice lors des opérations de réception et en exiger la réparation.


Si le vice véniel était caché au moment de la réception et se révèle ultérieurement, le maître de l'ouvrage dispose d'une action en justice, pour autant que celle-ci soit entamée dans un délai que la jurisprudence a qualifié de « délai utile » et qui s'apparente au bref délai en matière de vente (article 1648 du Code civil).

Le Juge décide souverainement si l'action a été entamée dans le délai utile compte tenu de toutes les circonstances de la cause ; ainsi des pourparlers ou négociations peuvent avoir un effet interruptif ou suspensif pour autant que ces négociations soient menées avec diligence et que le maître de l'ouvrage agisse rapidement dès qu'il constate l'échec des négociations.

Le maître de l'ouvrage a également intérêt à préciser que les discussions et négociations auront un effet interruptif ou suspensif.

En pratique, la prudence impose d'agir en justice pour éviter l'écueil du dépassement du « délai utile ».


4. Il convient de rechercher avec attention quelle est l'origine du vice de matériaux.

Quatre causes, en effet, peuvent être identifiées :

a) Le matériau est intrinsèquement vicieux ( vice intrinsèque)

b) Le matériau ne présente aucun vice en soi, mais il n'a pas été correctement prescrit en raison, notamment, de son environnement (par exemple en raison de coefficient différentiel de dilatation), ou encore en fonction de l'usage ou de la destination pour lesquels il était prescrit ( vice fonctionnel)

c) Le matériau n'a pas été correctement mis en œuvre

d) Le matériau n'a pas été correctement entretenu ; à ce sujet, il appartient à l'architecte de remettre au maître d'ouvrage, au plus tard à la réception le carnet d'entretien.

Ces différentes situations engagent des responsabilités, soit dans le chef du fabricant ou, dans certains cas, du fournisseur de matériaux, soit dans le chef de l'architecte ou de l'entrepreneur et, dans le dernier cas, l'imputabilité du vice de matériau pourra être attribué au maître de l'ouvrage lui-même.

Cependant, ces responsabilités peuvent être croisées et conjointes.

C'est ce que nous allons examiner ci-après.
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III. La responsabilité du fabricant ou du fournisseur de matériaux.


Il est pour le moins étonnant de constater que la responsabilité des fabricants et vendeurs de matériaux de construction est assez rarement appelée dans les procès qui mettent en cause architectes et entrepreneurs.


Pourtant, la responsabilité civile du fabricant ou du fournisseur de matériaux de construction pourra être retenue sur des bases légales différentes :

- la responsabilité civile contractuelle du vendeur professionnel , conformément aux articles 1602 et suiv. du Code civil ;

- la responsabilité civile extracontractuelle ( art. 1382 et suiv. du Code civil) ;

- la loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux. L'application de cette loi en effet ne porte pas préjudice au droit de la victime de se prévaloir par ailleurs de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle du fabricant ou fournisseur ( cf. art. 13 de la loi).


A. La responsabilité contractuelle et extracontractuelle

1. Principes généraux


Le fabricant et le fournisseur sont soumis aux obligations et à la responsabilité d'un vendeur professionnel suivant les articles 1602 et suiv. du Code civil ; ils doivent satisfaire à une double obligation (art. 1603): délivrer un produit conforme au contrat (art. 1604 et suiv. : défaut de conformité) et exempt de vice ( art. 1641 et suiv. : garantie des défauts de la chose vendue).

Lorsque le maître d'ouvrage non professionnel s'approvisionne directement chez le fabricant ou le fournisseur de matériaux, il y a lieu de mentionner encore les dispositions particulières en matière de vente à des consommateurs ( cf. les art. 1649bis à octies du Code civil insérés par la loi du 1er septembre 2004)


Le fabricant et le fournisseur sont des vendeurs professionnels et à ce titre, ils sont censés connaître parfaitement la chose vendue à telle enseigne qu'ils seront rendus responsables également des vices cachés éventuels. Ils doivent prendre toute mesure nécessaire pour déceler tous les vices possibles, sauf à démontrer le caractère indécelable du vice et assurer à l'acheteur la possession utile de la chose et son usage auquel, à la connaissance du vendeur, l'acheteur la destine.
Ils ne pourront invoquer une clause libératoire ou limitative de responsabilité sauf caractère indécelable du vice ou ignorance invincible.

Il importe cependant de bien examiner les conditions générales des fabricants et fournisseurs.
Ainsi, une clause limitant le droit de réclamation dans un temps excessivement court pourra être écartée dès lors qu'un vice fonctionnel ne se révèle au maître d'ouvrage que bien longtemps après l'acquisition du matériau litigieux par l'entrepreneur.

Il a été jugé qu'un défaut de conformité qui ne peut s'apprécier qu'après l'utilisation du matériau répond à la notion de vice caché au sens des articles 1641 et suiv. du Code civil ( Liège 6 février 1984 Pas. 1984 II 112)

De même la clause limitant la garantie du vendeur au remplacement du matériau défectueux sera parfois considérée comme nulle si elle exonère le vendeur professionnel de toute obligation.

Une clause qui limite la garantie quant à son objet ou sa durée peut être admise pour autant qu'elle ne soit pas assimilée à une clause exonératoire ; tel sera le cas si le juge constate une disproportion flagrante entre la valeur de la chose vendue, au remplacement de laquelle le vendeur entend limiter sa garantie, et les conséquences dommageables du vice.

Or, en matière de construction, les matériaux sont toujours destinés à être incorporés à l'ensemble de la construction, si bien que les répercussions dommageables en cas de vice seront presque toujours présentes.


En matière de construction immobilière, il convient d'examiner la situation du fabricant en fonction des circonstances et notamment de la nature du matériau.


2. La nature du produit

Comme on l'a rappelé ci-avant, le matériau peut appartenir à la catégorie des matériaux dits élémentaires, tels que le ciment ou le sable.
Il peut être un semi-produit, tel que la brique, un tuyau ou un câble.
L'objet enfin peut représenter un composant (panneau, cloison, escalier, châssis) ou même constituer un ensemble d'éléments industrialisés ou préfabriqués.

La nature du matériau exerce donc en elle-même une influence sur la nature et l'étendue des obligations du fabricant d'une part, et du constructeur d'autre part.


Un architecte ne conçoit plus un châssis dans ses parties essentielles et encore moins un panneau solaire.
Un défaut d'étanchéité d'un châssis, par exemple, pourra entraîner la responsabilité exclusive du fabricant de ce châssis à la décharge de l'architecte ou de l'entrepreneur, dans la mesure où il s'agit d'un vice intrinsèque indécelable par le constructeur au moment de la livraison et de la pose.
Le fabricant sera responsable du vice intrinsèque du matériau.

Citons encore la porosité ou la gélivité d'une brique, l'écaillement de briques de façade causé par une résistance insuffisante à l'humidité, etc.

Lorsqu'il s'agit d'un matériau naturel, la responsabilité du fabricant, mais aussi de l'entrepreneur, s'appréciera en fonction des caractéristiques naturelles de ce produit (notamment différence d'aspect esthétique), dans la mesure, bien entendu, où le maître de l'ouvrage aura pu exercer un choix éclairé et averti sur base d'un échantillonnage et que il a aura été dûment prévenu que des différences d'aspect, de teinte ou de coloris peuvent se présenter.
Ainsi jugé que ne peut être considéré comme vice caché, une caractéristique inhérente au genre de matériau , en l'espèce la décoloration de tuiles d'origine italienne par exposition à l'air ; l'erreur, le dol ou le dol qualifié ne peuvent fonder une action en nullité de la vente, si la qualité qui fait défaut n'a pas été considérée par les parties comme élément déterminant de leur convention (Bruxelles 7 janvier 1972 Juridat F-19720107-10)


Si des tolérances sont admises en la matière, il convient cependant d'apprécier chaque cas avec prudence.


3. La fonction du produit.

Il convient également de tenir compte des caractéristiques du produit en rapport à la fonction que ce produit est censé remplir au sein de l'ouvrage.

Le vice caché de la chose vendue qui oblige le vendeur à garantie peut être un vice fonctionnel et extrinsèque qui, même s'il n'affecte pas intrinsèquement la chose, la rend impropre à l'usage auquel, à la connaissance du vendeur, l'acheteur la destine ( Cass.1ère ch. 19 juin 1980 ED 1986-219 et obs.O.Collon)

L'obligation du fabricant sera appréciée par rapport aux critères dégagés par la Directive européenne 89/106 citée ci-avant (notamment les conditions de solidité ou stabilité d'édifice, mais aussi de son habitabilité et de son confort).

Plus le matériau est complexe, plus l'obligation et la responsabilité du fabricant et de son fournisseur seront engagées.

Cette responsabilité sera également analysée en fonction de l'influence qu'exerce le matériau sur la solidité et la stabilité de l'édifice, conformément aux articles 1792 et 2270 du Code civil. Le fabricant n'est pas comme tel tenu à cette responsabilité décennale mais l'entrepreneur assigné sur base de sa responsabilité décennale, appellera en intervention forcée et garantie le vendeur qui lui a fourni les matériaux vicieux.

Si le fabricant est responsable en première ligne du vice intrinsèque du matériau, sa responsabilité pourrait également être engagée en cas d'inadaptation du matériau à l'usage prévu.

Il s'agit ici d'une faute de conception, impliquant la responsabilité de l'architecte auteur de projet qui, soit dans les plans, soit dans le cahier des charges, a prescrit un matériau qui ne convenait pas ou n'était pas suffisamment apte à remplir les performances souhaitées.

Mais le vendeur qui a connaissance de la destination de la chose vendue et du résultat escompté par l'acheteur souscrit une obligation de résultat. Cette garantie du vendeur peut donc s'étendre aux vices fonctionnels et extrinsèques qui rendent la chose impropre à l'usage auquel, à la connaissance du vendeur, l'acheteur la destine.


Dans certains cas, le sous-traitant spécialiste se voit imposer à l'égard de son cocontractant entrepreneur général, une obligation d'information et de mise en garde concernant l'utilisation de matériaux inadéquats ; il doit prévenir des risques ou inconvénients de ces matériaux.

De même, un défaut de mise en œuvre qui, en principe est imputable à l'entrepreneur, pourra engager la responsabilité du fabricant ou du fournisseur, dans la mesure où ce dernier a été consulté concernant les conditions de mise en œuvre.

Enfin, une mauvaise utilisation ou un mauvais entretien peut-être à l'origine d'un vice de matériau. Cette obligation pèse sur le propriétaire ou l'utilisateur, mais ceux-ci doivent avoir été informé de cette obligation et de son contenu. On examinera avec soin les notices d'utilisation et d'entretien délivrées par le fournisseur ou le fabricant.

Ainsi, les obligations et la responsabilité du fabricant et du fournisseur de matériau de construction varient en fonction de l'intervention qu'ils assument consciemment et parfois à leur insu dans le champ conceptuel et à l'occasion de l'exécution des travaux.


4. Le devoir de conseil

La nature du matériau exerce donc une influence sur la détermination de la responsabilité du fabricant.

La nature des prestations du vendeur intervient également pour fixer sa responsabilité.
Bien souvent, les fabricants et fournisseurs accompagnent la livraison du matériau de plans de détails et instructions de poses, ainsi que d'un code de bonne pratique et d'entretien qui détermineront les contraintes du matériau, leur mode de mise en œuvre et d'application, les conditions d'usage et d'entretien, etc.

Bien plus, les fabricants et fournisseurs sont régulièrement consultés, surtout lorsqu'il s'agit de matériaux hyper complexes (par exemple en matière de production d'énergie alternative).

De plus en plus, on constate, d'autre part, que certaines problématiques telles que l'économie d'énergie et de chaleur, et a fortiori la production d'énergie alternative doit faire l'objet d'une analyse et d'un audit qui prend en considération l'ensemble de la construction et non plus un élément isolé.


La législation en matière de performance énergétique a d'ailleurs créé une nouvelle fonction, à savoir celle du conseiller ou du responsable PEB.


Les obligations et les responsabilités se trouvent ainsi réparties entre l'architecte, le spécialiste consulté, l'entrepreneur, le fabricant et le fournisseur.


De plus en plus, un fabricant de matériaux complexes ne peut se contenter de fabriquer et vendre, ou faire vendre son produit. Il doit prendre une participation active dans le processus de conception et d'exécution directement proportionnel à la complexité du matériau.

Le devoir de conseil qui pèse sur le fabricant et le fournisseur porte notamment sur les caractéristiques du produit, les conditions de sa mise en œuvre, la compatibilité du matériau à l'environnement dans lequel il est appelé à s'intégrer, les conditions d'entretien et d'utilisation et, bien entendu, les performances du matériau.

Il a été jugé que la documentation du fabricant de profilés de châssis, qui mentionne les caractéristiques du produit , qui précise que la pose a lieu conformément aux prescriptions et qui offre une garantie décennale, constitue une pollicitation. Même si les désordres qui affectent les châssis sont imputables à leur mise en œuvre, le fabricant doit indemniser le client de l'entrepreneur, licencié régional chargé de la fourniture et pose, en raison du mandat apparent et de l'obligation du fabricant d'exercer un rôle actif de surveillance lors de la mise en œuvre des matériaux ( Trib. 1ère inst. Liège 19 sept. 1991, Juridat F19910919-9).


L'information se doit d'être complète et objective ; ainsi, un fabricant ou fournisseur de panneaux solaires doit informer le public de la durée de vie escomptée du produit, de même que sur ses performances décroissantes dans le temps.

La jurisprudence reconnaît que les obligations et les responsabilités du fabricant s'apprécient également par référence à sa publicité ; les mentions de celle-ci seront utilisées par le Juge pour apprécier la nature et surtout l'étendue des responsabilités du vendeur. Le Tribunal se montrera d'autant plus sévère à l'égard du vendeur qui a vanté dans la publicité les très hautes qualités et performances de ses produits. Le devoir de conseil s'exerce naturellement à la formation du contrat et même préalablement à celui-ci par la distribution des publicités, brochures techniques, codes de bonne pratique, etc.

Le devoir de conseil peut également se poursuivre durant l'exécution dans la mesure où l'architecte ou l'entrepreneur interroge le fabricant pour lui demander de fournir les explications et précisions techniques complémentaires.

On ne peut d'ailleurs que recommander aux architectes et entrepreneurs d'interpeller les fabricants et fournisseurs aussi souvent que nécessaires et de préférence par écrit.

Dans certains circonstances, la jurisprudence impose au fabricant un devoir de conseil, même après la livraison du produit et sa facturation, a fortiori lorsque il est amené à constater sur chantier l'usage ou la mise en œuvre du matériau vendu.

Quelle est l'étendue du devoir de conseil ?

Il s'agit, en tout premier lieu, d'un devoir de renseignements, d'informations et d'instructions que le fabricant délivre sous forme de recommandations, détails techniques, précisions quant à la nature du produit et sa composition.

Mais le devoir de conseil va plus loin et comporte également l'obligation de prévention et de prévisibilité.

Il s'agit d'un véritable devoir d'intervention active qui trouve son fondement dans la nécessaire collaboration des cocontractants et qui trouve elle-même sa justification dans l'obligation générale de bonne foi, marquant de son empreinte toute espèce de convention.

La mauvaise foi sera établie dès lors que celui qui a fabriqué un produit et l'a vendu, acquière, à l'occasion d'un contrat d'entretien la connaissance effective après la vente, des vices cachés existants au moment de la vente sans qu'il ait averti l'acheteur. (Cass.28 févr.1980 JT 1981-240).

Certes, l'architecte, l'entrepreneur et, dans une moindre mesure, le maître de l'ouvrage lui-même doivent se renseigner d'emblée et requérir d'initiative les informations nécessaires.
Le fournisseur ne doit pas questionner systématiquement l'entrepreneur qui est un acquéreur professionnel et donc expérimenté concernant l'utilisation du matériau surtout lorsque celui-ci est acheté par un sous-traitant spécialiste.


Le contrat de vente pur et simple peut être assorti ou complété par des obligations de conseils et d'information, et constituer ainsi un faisceau d'obligation et de responsabilités.

Quoi qu'il en soit, le fabricant et le fournisseur interfèrent très souvent avec l'architecte concepteur et l'entrepreneur exécutant.

Le fournisseur pourra, le cas échéant, être condamné in solidum avec l'architecte et l'entrepreneur. Mais, n'ayant pas directement coopéré à la construction, il ne sera pas visé par les art. 1792 et 2270 du Code civil (responsabilité décennale)

La loi française du 4 janvier 1978, dite loi Spinetta, a rencontré cette situation en rendant le fabricant solidairement responsable des obligations mises à charge du locateur d'ouvrage qui a mis le matériau en œuvre. ( art.1792-4 du Code civil français)

Les fabricants et fournisseurs de matériaux peuvent participer, fussent indirectement, par l'appel en intervention et garantie, à la responsabilité décennale des constructeurs.


5. Le recours des tiers

Le maître de l'ouvrage peut-il assigner directement le fabricant et exercer contre ce dernier une action directe ?

Qu'en est-il de l'action en responsabilité du tiers acquéreur d'une chose contre le fabricant ?

En général, le vendeur de matériaux est lié directement à l'entrepreneur qui se fournit chez lui ; en cas de vice de matériaux, c'est donc l'entrepreneur qui exercera le recours contre le fabricant ou le fournisseur .

Cependant, le maître d'ouvrage, qui est un tiers par rapport à cette relation contractuelle, pourrait agir directement contre le fabricant ou le fournisseur sur base de la responsabilité extracontractuelle. La faute et le dommage retenus doivent être « extracontractuels » .

On notera que la mise en mouvement de la responsabilité extracontractuelle échappe aux conditions du « bref délai » de la garantie contractuelle des vices cachés.

Pourrait-il en outre exercer une action directe fondée sur la garantie des vices cachée ?

Cette question fut controversée ( pour : cf. Liège 3 oct. 2005 Juridat F20051003-1. A props d'éléments préfabriqués en béton : Liège 26 févr.1993 Juridat F19930226-2. Contra : cf Bruxelles 9 mai 1986 Juridat F-19860509-2 qui refuse le recours direct des copropriétaires maître d'ouvrage contre le fabricant de châssis).

Cependant un arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2006 ( Pas.2006 I 1154) décide que « le droit à garantie de l'acheteur initial à l'égard du vendeur constitue un accessoire de la chose, qui est vendu avec la chose aux acheteurs successifs. La circonstance que la chose viciée est livrée par un entrepreneur à son commettant dans le cadre d'un contrat d'entreprise ne dispense pas le vendeur initial de son obligation de garantie à l'égard de cet usager final. »
(pour un commentaire de cette décision, cf « La responsabilité des professionnels de la construction », A.Delvaux, B.de Cocqueau, F.Pottier et R.Simar, in Responsabilités, Traité théorique et pratique Titre II, Livre 23 Vol 1, n°136).

Cf aussi, à propos de fuites dans des tuyauteries en cuivre : comm Anvers ,3è ch., 18 mai 1994 ED 1997-217.

Pour certains auteurs, le fondement juridique de l'action contractuelle directe du maître d'ouvrage contre le fournisseur réside dans la notion de stipulation pour autrui : l'entrepreneur qui achète des matériaux pour une construction qui ne lui est pas destinée agit dans le cadre d'un contrat d'entreprise ; il acquiert des matériaux pour le compte du maître d'ouvrage et stipule donc pour ce dernier.


Le sous-acquéreur peut agir en garantie des vices cachés directement contre le fabricant et le ou les vendeurs intermédiaires quoique ces derniers ne sont pas assimilés automatiquement au fabricant depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 6 mai 1977 ( RCJB 1979,p.162) sauf s'ils sont des vendeurs spécialisés ; ils ne seront donc pas considérés comme disposant d'une connaissance du vice. Celle-ci sera examinée en fonction des circonstances notamment la spécialisation du revendeur ou du détaillant.

Notons que le bref délai de l'art. 1648 ne prend cours qu'à partir du moment où l'acheteur a eu raisonnablement connaissance de l'existence du vice ( cf. comm Hasselt 13 mai 1992 ED 1995-16)


6. La loi du 25 février 1991


La loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux a transposé en droit interne la Directive européenne du 25 juillet 1985.

Elle instaure un régime de preuve et de réparation favorable à la victime d'un produit défectueux ; il suffit en effet à celle-ci de prouver l'existence du vice du produit, du dommage subi et du lien causal.
Il n'est plus nécessaire de démontrer une faute dans le chef du producteur pour engager sa responsabilité contractuelle ou non, ainsi « objectivée », sauf les causes d'exonération prévues à l'art.8.

Le produit est « tout bien meuble corporel, même incorporé à un autre bien meuble ou immeuble ou devenu immeuble par destination » ( art.2 al.1). Il peut s'agir d'un produit fini, d'un composant ou d'une matière première.

Le dommage doit être subi par une personne ou à des biens de consommateur privé, autre que le produit défectueux lui-même, dans les limites fixées par l'art. 11 ; les biens sinistrés doivent concerner l'usage ou la consommation privée et utilisé comme tel par la victime.

Le vice est la défection du produit lorsqu'il n'offre pas ou plus les conditions de sécurité auxquelles on peut légitimement s'attendre ( art.5).Il est donc fait référence à la sécurité des personnes et des biens.

Le vice n'est donc pas l'inaptitude du produit à l'usage auquel il est destiné ; il ne peut être confondu avec le vice caché visé par l'art. 1641 du Code civil.
Le producteur est défini extensivement (art.3) sans pour autant rendre en principe responsable le simple fournisseur ou vendeur du produit. Cette responsabilité n'est retenue qu'à titre subsidiaire ( si la victime ne peut identifier le producteur ou l'importateur).

Si le produit est fabriqué en dehors de l'Union européenne l'importateur situé dans celle-ci est considéré comme producteur et pourra être rendu responsable. Le fournisseur échappera à tout recours en indiquant l'origine du produit dans un délai raisonnable.

Pour une analyse de cette loi, cf notamment le commentaire de E.Montéro sou Liège 7 novembre2005 - Rev.gén. de droit civil belge - 2006-624).

Cf. « La responsabilité des professionnels de la construction » A.Delvaux et cts, op cit vol.2 n°275 ; les auteurs observent que si sur un plan théorique la loi du 25 février 1991 peut bien concerner l'entrepreneur, sur un plan pratique cependant, cette loi est peu appliquée par les Cours et Tribunaux aux entrepreneurs producteurs ou fournisseurs dans le domaine des travaux de construction.

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