15/11/10

Le délai d'exécution

Introduction:

Exécuter les travaux dans le délai imparti constitue une des obligations majeures de l'entrepreneur de travaux, au même titre que l'exécution de la commande dans les règles de l'art et la livraison de la chose.

Si aucun délai n'a été prévu au contrat, il ne s'ensuit pas pour autant que l'entrepreneur s'en trouverait libéré de toute obligation à cet égard ; il devra exécuter dans un délai « normal » compte tenu de la nature et de l'importance des travaux et qui, à défaut d'accord, sera fixé par le Juge en recherchant la volonté des parties et les circonstances de l'affaire.

Le délai peut être fixé de date à date, en jours calendriers ou ouvrables.

La loi Breyne du 9 juillet 1971 qui s'applique à la promotion immobilière mais également lorsque les travaux sont exécutés par un entrepreneur général (dans certaines conditions), impose que la convention détermine la date du début des travaux et le délai d'exécution ou de livraison (article 7 litera f).


Certaines circonstances justifient l'allongement du délai ; les articles 1147 et 1148 du Code civil exonèrent le débiteur de tous dommages-intérêts à raison du retard dans l'exécution lorsqu'il peut justifier que cette inexécution provient d'une cause étrangère, qui ne peut lui être imputée sans mauvaise foi de sa part, ou lorsque par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, il a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé.


Les jours intempéries et jours fériés allongent le délai.

D'autre part, certaines décisions du maître de l'ouvrage peuvent avoir une influence sur le délai d'exécution.

Ainsi en va-t-il lorsque le maître de l'ouvrage ordonne la suspension des travaux ou lorsqu'il commande des travaux supplémentaires ou différents.

Il est donc nécessaire dans la convention de définir les incidences que les travaux supplémentaires peuvent avoir sur le délai d'exécution.

Enfin, dans certains cas, l'entrepreneur pourra invoquer la faute du maître de l'ouvrage ou éventuellement d'un tiers (par exemple le retard apporté par l'architecte à la transmission de ses plans) pour justifier d'un allongement du délai d'exécution.

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Les amendes de retard

Pour sanctionner le retard d'exécution le contrat ou le cahier des charges stipule des amendes de retard.

L'application de ces amendes suppose, en principe, une mise en demeure préalable, c'est-à-dire une manifestation explicite et sans ambigüité du maître de l'ouvrage de sa volonté de voir l'entrepreneur respecter le délai. Cette mise en demeure est exigée par l'article 1146 du Code civil : les dommages-intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est en demeure de s'exécuter.

L'article 1139 du Code civil stipule que la mise en demeure se fait par une sommation ou par un autre acte équivalent, soit par l'effet de la convention lorsqu'elle porte que, sans qu'il soit besoin d'acte et par la seule échéance du terme le débiteur sera en demeure.

En principe donc, et sauf convention contraire, la mise en demeure se manifeste par un écrit.

Le créancier de l'obligation ne doit pas nécessairement avertir son débiteur qu'en cas d'inexécution ou de retard il devra en subir les effets légaux et contractuels ; il suffit qu'il exprime de façon claire sa volonté de voir exécuter l'obligation principale (cf. le contrat d'entreprise M.A. FLAMME, Ph. FLAMME, A. DELVAUX et Fr. POTTIER, Chronique de jurisprudence 1990-2000, n° 185).

A défaut de mise en demeure l'entrepreneur pourra se prévaloir d'une prorogation tacite d'échéance (cf. M.A. FLAMME et Ph. FLAMME, le droit des constructeurs, 1984, n° 73).

Comme le permet expressément l'article 1139 du Code civil rappelé ci-avant, le contrat peut prévoir que l'entrepreneur sera en demeure par la seule échéance du terme ; cependant, la simple indication dans le contrat d'un délai (exemple « les travaux seront exécutés dans un délai de 120 jours ouvrables ») n'est pas suffisante pour dispenser d'une mise en demeure.

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Clause pénale

Principe :

Les parties peuvent conventionnellement fixer le montant forfaitaire des dommages et intérêts qui sanctionneront le retard d'exécution ; il s'agit de la clause pénale.

Celle-ci est définie à l'article 1226 du Code civil « la clause pénale est celle par laquelle une personne s'engage à payer, en cas d'inexécution de la convention, une compensation forfaitaire pour le dommage éventuellement subi par suite de ladite inexécution ».

L'article 1229 précise encore que « la clause pénale est la compensation des dommages et intérêts que le créancier souffre de l'inexécution de l'obligation principale. Il ne peut demander en même temps le principal et la peine, à moins qu'elle n'ait été stipulée pour le simple retard ».

Opposabilité :

Pour apprécier la clause pénale, il convient de s'assurer qu'elle entre bien dans le champ contractuel, c'est-à-dire qu'elle a été acceptée par les parties et qu'elle leur est dès lors opposable.

Il peut y avoir contradiction, par exemple entre l'offre ou les conditions générales de l'entrepreneur d'une part, et les stipulations du contrat d'entreprise ou encore entre ce dernier et le cahier des charges. Il faut, enfin, être attentif à l'échange de correspondance que les parties ont pu entretenir avant la formation du contrat ou durant son exécution.


Montant :

La licéité de la clause pénale est admise puisqu'elle est expressément prévue par le Code civil (articles 1226 et suivants du Code civil), mais la jurisprudence n'appliquera la clause pénale que si elle est raisonnable et proportionnelle, c'est-à-dire qu'elle conserve un caractère purement indemnitaire : assurer la réparation du seul dommage résultant du retard d'exécution sans plus.

Il serait, en effet, choquant que le créancier de l'obligation, en l'occurrence le maître de l'ouvrage, suppute l'inexécution de l'obligation de son cocontractant pour spéculer une profit qui lui paraitrait plus important que celui qui résulterait de l'exécution de la convention.

Ainsi, l'article 1231 du Code civil, modifié par la loi du 23 novembre 1998, permet au Juge d'office, ou à la demande du débiteur, de réduire la peine qui consiste dans le paiement d'une somme déterminée lorsque cette somme excède manifestement le montant que les parties pouvaient fixer pour réparer le dommage résultant de l'inexécution de la convention.

Certes, certains auteurs reconnaissent que la clause pénale peut avoir en outre un caractère préventif et dissuasif et donc représenter un montant qui dépasse la simple réparation du préjudice réel subi (cf. M.A et Ph. FLAMME, Le droit des constructeurs, n° 77).

En définitive le critère qui permet de décider si le montant d'une clause pénale est excessif et justifie son écartement ou sa réduction est la réponse à la question de savoir si en appliquant cette clause le maître de l'ouvrage pouvait spéculer l'inexécution du contrat. En d'autres termes, si le maître de l'ouvrage perçoit un intérêt supérieur à voir l'entrepreneur en défaut d'exécution plutôt que de recevoir le travail dans le délai convenu.

Le Juge se placera au moment où les parties sont convenues de la clause pénale, c'est-à-dire lorsqu'elles ont signé le contrat pour vérifier si à ce moment elles pouvaient procurer un avantage ou un bénéfice au maître de l'ouvrage beaucoup plus important que l'exécution normale du contrat.

Bien avant la modification législative apportée par loi du 23 novembre 1998 à l'article 1231 du Code civil, les Juges procédaient déjà spontanément à la réduction des clauses considérées comme abusives (cf. M.A et Ph. FLAMME, Le droit des Constructeurs, n° 78).
Une clause pénale pourra être réduite s'il y a eu exécution partielle de l'obligation (cf. Le contrat d'entreprise, chronique de jurisprudence 1990-2000, M.A. et Ph. FLAMME, ADELVAUX et Fr. POTTIER, op. cit., n° 194).


Cumul :

Cela étant, le maître de l'ouvrage est en droit de prévoir dans le contrat la réparation intégrale et non abusive de son préjudice en cas d'inexécution des obligations par l'entrepreneur, notamment liées au respect des délais conventionnels.

Il convient donc, tout d'abord, de vérifier et de préciser toutes les conséquences du retard qui entrainent des effets qui ne pourront être confondus ou assimilés au préjudice forfaitairement fixé par la clause pénale.

Exemple : la clause de révision du prix ne s'appliquera plus au-delà du délai contractuel, c'est-à-dire à la période durant laquelle l'entrepreneur encourt des pénalités de retard lorsqu'il est en défaut d'exécuter le travail dans le délai convenu (cf. M.A.et Ph. FLAMME, Le droit des constructeur, op. cit., n° 81).

Exemple : l'entrepreneur ne pourra plus invoquer les intempéries ou jours fériés qui surviennent durant cette période postérieure à l'expiration du délai conventionnel.


Ensuite l'application de la clause pénale pourrait être cumulée avec d'autres réparations du préjudice qui, directement ou non, résultent du retard.

Ainsi, le maître de l'ouvrage peut légitimement réclamer le remboursement des mesures d'office qu'il a dû mettre en mouvement suite à une inexécution partielle ; ces indemnités se cumuleront avec les pénalités pour retard.

En effet, il s'agit de deux catégories différentes de dommages ; la Cour de Cassation rappelle que « les intérêts moratoires peuvent se cumuler avec les intérêts compensatoires puisqu'il y a deux causes de préjudices distinctes et que ceux-ci représentent uniquement l'utilité que le créancier aurait retirée de l'exécution effective » (Cass. 3 octobre 1975, Pas. 1976, I, 146, cité par M.A. et Ph. FLAMME, Le droit des constructeurs, op. cit., n° 86).


Le retard accusé par un entrepreneur peut avoir des répercussions importantes sur le bon déroulement du chantier et notamment entrainer des perturbations du planning des autres entrepreneurs ; dans ce cas il nous semblerait équitable que les indemnités que le maître de l'ouvrage devra éventuellement payer à ses autres entrepreneurs puissent être cumulées avec les pénalités de retard imputables à l'entrepreneur responsable (contra cependant Civ. Bxl, 23 novembre 1976, confirmé par la Cour d'appel de Bxl du 2 mars 1979, cité par Ph. M.A. FLAMME, Le contrat d'entreprise, 15 ans de jurisprudence 1975-1990, p. 57).

(Cf. aussi la jurisprudence dans le même sens citée par M.A. et Ph. FLAMME, A. DELVAUX et Fr. POTTIER, Le contrat d'entreprise, chronique de jurisprudence 1990-2000, n° 198).
Bien entendu les pénalités de retard pourront se cumuler avec les indemnités pour réparations des vices, manquements et malfaçons puisqu'il s'agit de deux dommages tout à fait différents.

Un entrepreneur général pourrait imposer à ses sous-traitants non seulement le remboursement des amendes qu'il doit au maître de l'ouvrage pour le retard imputable à son sous-traitant (l'entrepreneur général doit cependant informer préalablement son sous-traitant des stipulations du marché qui lie cet entrepreneur général au maître de l'ouvrage), mais également le préjudice propre subi par l'entrepreneur général tels que perturbations ou bouleversement du chantier et incidences sur les autres sous-traitants.


Application de la loi Breyne :

Comme il a déjà été rappelé ci-avant, la loi Breyne applicable en cas de promotion immobilière ou d'entreprise générale, impose de prévoir au contrat non seulement la date du début des travaux et le délai d'exécution ou de livraison, mais également « les dommages et intérêts pour retards d'exécution ou de livraison ; ces dommages et intérêts doivent correspondre au moins à un loyer normal du bien achevé auquel se rapporte le contrat » (article 7, litera f).

Il faut rappeler que l'inobservation de cette disposition entraine la nullité de la convention ou de la promesse de convention ou la nullité de la clause contraire à la loi et que l'une ou l'autre de ces nullités peut au choix être invoquée par l'acquéreur ou le maître de l'ouvrage avant la passation de l'acte authentique ou s'il s'agit d'un contrat d'entreprise avant la réception provisoire (article 13 de la loi Breyne).


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Conclusion

La rédaction d'une clause pénale mérite une grande attention et doit être conçue en fonction des particularités du projet et du chantier.

La situation n'est pas la même selon que le projet concerne une habitation unifamiliale, un immeuble de rapport, un commerce, des bureaux ou une fabrique.

Le préjudice résultant directement du retard d'exécution doit être évalué avec soin ; une forfaitisation à la légère (exemple : x euros par jour) ne peut suffire ; dans certains cas le maître de l'ouvrage a intérêt à préférer la faculté de réclamer la réparation intégrale de son préjudice réel qu'il devra évidemment démontrer, tels que perte de chiffre d'affaire, frais de siège, etc...

Il faut cependant attirer l'attention que « la stipulation conventionnelle d'une indemnité journalière de retard, sans préjudice du droit pour le maître de réclamer la réparation de tout le dommage causé par le retard n'est pas une clause pénale, parce que dépourvue de caractère forfaitaire.
Elle édicte en fait une peine, étrangère à la matière des obligations conventionnelles, et la convention qui l'établit est illicite » (M.A. FLAMME et J. LEPAFFE, Le contrat d'entreprise, 1966, n° 132 et jurisprudence citée).


Rien n'oblige les parties de forfaitiser contractuellement à l'avance le préjudice subi suite au retard d'exécution.

Il faut garder à l'esprit le principe général selon lequel la réparation d'un dommage doit être intégrale (« les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a fait et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après » - article 1149 du Code civil).

La Cour de Cassation rappelle qu'en matière de responsabilité née de l'inexécution fautive d'un contrat, le dommage ne se restreint pas nécessairement à l'inexécution même de l'obligation contractuelle mais peut en être distinct (Cass. 1er avril 1982, Pas., I, p. 909).

Si, conformément à l'article 1150 du Code civil le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, sauf dol dans son chef, les juges conservent un pouvoir souverain pour évaluer et régler le montant des dommages-intérêts, mais l'indemnité due au créancier doit, sous réserve de l'application des articles 1150 et suivants du Code civil, assurer une réparation complète du préjudice causé et pour en fixer le montant le Juge doit se placer au jour de sa décision (Cass. 27 juin 1974, Pas., I, p. 1128).

La Cour de Cassation a également rappelé que l'article 1150 précité ne concernait que la cause des dommages et non leur étendue.


Le maître de l'ouvrage ne peut se contenter d'une estimation grossière de la valeur locative théorique du bien pour fixer l'amende de retard ; il doit prendre en considération tous les éléments qui constituent son préjudice, et notamment le remboursement de son crédit éventuel.

Réf: 25003649/JPV JPV

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